notes sur Pelléas

écoute: Pelléas et Mélisande de Debussy/Maeterlinck

La musique est traitée et observée ici comme précondition d’elle-même, à savoir elle est traitée avec la même fluidité de signification que le silence, l’absence de son : qu’est-ce qu’un trou ? est-ce un espace significatif à la fois particulier (à savoir reliant des entités) ou est-ce la possibilité générale de leur lien ? le silence et la musique n’ont pas, ici, de consistance particulière, ils s’échangent leurs fonctions, le motif servant souvent de creux sémantique par rapport à l’harmonie, et même servant de « pointe » qui éclaire le reste du matériau dans l’écriture, autrefois considéré comme secondaire. Cela est du au rapport au texte. La différence et l’antagonisme du matériau, quant à eux s’expriment ici avec un lexique de champ plutôt que de point, et par conséquent inscrivent le silence dans leur propre continuité, y naviguent d’un point à un autre (et non selon une courbe, une traversée) grâce à une immédiateté obtenue par l’importance, expliquée plus haut, du matériau secondaire, fluide et non fixe, de la partie d’orchestre. Le silence provoque le mouvement, le quasi-silence de l’orchestre provoque le changement de sa signification (le changement de motifs, si impossibles à comprendre).

un “dessin de désagrégation” d’Henri Michaux

Le silence n’est à vrai dire pas la condition d’existence de cette musique, n’est pas son fond. Car le silence est bien la dernière chose réelle qu’on y vit, il est la conséquence de tout ce travail du mouvement d’une idée à l’autre. Si métaphore il y a, lien, soudure, entre un motif et le suivant, il est inexistant pour le champ sonore, le travail d’orchestration, si soudure il y a ce n’est ni dans un rapport absolu à l’absence de pensée et d’idée, ni dans un rapport particulier avec sa propre apparition.

Le champ formel (tissé), lui, est subordonné, par conséquent, au travail (lissage) de la nuance sonore (localisable dans la mélodie) alors que le champ sonore fonctionne par une différence toujours déplacée, toujours dans un travail du minuscule, qui vise à briser le matériau (à la différence de Beethoven, qui travail avec de manière identique, avec un matériau qui mène à son expression complète, cherchant à se séparer du silence, vu comme passif en tant que précondition). Ce n’est pas étonnant que les deux références, dans le premier acte, à Parsifal, arrivent précisément dans des transitions, car, le texte s’absentant, la langue musicale cesse d’y posséder un rapport au silence, gagne une consistance proche d’un Berio, ouvrant le formel au sonore, qui permet d’obtenir une écriture dite mythique, de circulation, hors du spectre silence/mot, et de briser la nécessité du champ sonore minimaliste, afin de mettre en avant un objet musical véritablement sans fond, issu du passé et ayant valeur de développement d’un mouvement (Wagner parle bien de Verwandlungmusik). La musique avant toute chose : avant même le silence de l’impossibilité amoureuse : la musique. La perpétuité de la métaphore, du travail du lien, l’apparentéité (à défaut d’un meilleur terme) du matériau à lui-même rend impossible toute forme de séquence temporelle, toute distinction d’un objet en formation (à la différence Wagner, où nous vivons et mourrons avec les motifs), tout ordre, en réalité, transformant la trame musicale en une hypothèse constante. A vrai dire l’apparentéité du matériau (qui n’est pas son apparence, mais son caractère génétique) et son impossible construction dans notre mémoire ordonnée pourrait indiquer qu’on est en face d’un matériau parfaitement achevé, intégré à l’ordre, et surtout précis (comme chez Richard Strauss), singulier. Mais en réalité, ce matériau s’élève à peine au-dessus du fond sonore, cependant que chaque inflexion, ornement, ou nuance divise l’attention plutôt qu’elle la sépare.

La récurrence d’un motif, qui existe ici, tout de même, sert de brisure dans l’ordre, dans la séquence, plutôt que d’affirmation de cette dernière. Et la croissance d’un motif mène très souvent à son indifférentiation vis-à-vis du champ sonore, étant donné que l’ordre temporel y est figé, et que le travail de nuance continue, avec le fond-silence-potentiel. Il y a un rapport immédiat, constant, certainement pas a priori, de voilement dans l’équivalence entre la conceptualisation du matériau et sa perception : il est fait pour être perçu ainsi, c’est-à-dire d’aucune manière précise. L’écoute de cet opéra n’est pas le traitement de l’information qui y est, et c’est peut-être pour cela que l’opéra était un support idéal pour Debussy dans cette recherche, car la saturation temporelle, le seuil de fatigue y est étendu par le texte, ce qui permet à Debussy de tresser plus patiemment des liens au-delà des repères habituels, romantiques, du continu, du cumulé. De même me voilement entre concept et percept, de même entre syntaxe et portance.

En fait, le silence et le texte échangent leur potentiel de non-direction, de singularité, ou de mouvement au-dessus de la non-direction, par le biais de la musique, dont l’espace est réduit à l’extrême sensibilité de son compositeur. Ces trois composantes s’échouent et sont apaisées par la présence des autres, tout en les fragilisant. Ni sur la réserve, ni dans la prolifération, la fluidité du temps combiné du silence, du texte, et de la musique impliquent une attention accrue proportionnellement à la rareté des évènements du texte : au lieu de ressentir une fatigue ou une incapacité à s’éprendre de l’objet de l’attention, on arrive à un silence de cette dernière. Nous ne pouvons entendre que peu de choses, et cet état ne s’inverse pas, ne devient pas catastrophe, chez Debussy : cet état est contrôlé, ne provoquant ni rupture, ni une patience tournée vers le futur, ni réactions en chaîne du matériau, mais incluant du matériau tout en en vidant la mémoire, le matériau précédent. Cet échange spontané partage l’inconnu du rêve. Ce qui vide notre mémoire des évènements passés n’est pas ici davantage d’éléments « positifs », ni encore de la durée pure, mais bien cette toile dressée entre texte, musique, et silence, ce dernier naviguant entre les autres. Le mystère de cette musique n’est ni dans sa durée, ni dans sa rétention, ni dans son apparition : plutôt on le retrouverait dans son apparence, dans son diaphane (à savoir « montrer le travers » des rapports entre des éléments eux bien perceptibles). Une euphorie résulte de l’attente de ce mystère dont nous semblons recevoir l’accomplissement à rebours… Ou comme le dit Arkel « […] nous ne voyons jamais que l’envers des destinées, l’envers même de la nôtre […] », affirmant ainsi le règne d’un temps que nous ne connaîtrons jamais directement, celui du créateur.

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