… au temps de l’innovation.
Qu’est-ce qui a poussé la modernité à revenir, à venir à la symphonie? Qu’on pense uniquement au fait que toute la tradition venait de l’écriture symphonique, plus que de celle de quatuor, et on pourrait croire à un motif de refus de la part d’un compositeur d’utiliser ce genre.
Mais peut-être le modèle de Mahler, Bruckner, ou Brahms, a donné suffisamment d’espoir pour voir en leur production symphonique un portillon vers le futur plutôt qu’une stèle dressée vers le passé. Schönberg il faut le dire a fait beaucoup pour réévaluer Mahler et Brahms. Et par là même, le moule symphonique a su garder sa ténacité, sa part de vérité, quand bien même Mahler dans tous ses essais l’a conduit à un déséquilibre prophétique mais impossible à suivre, ou Brahms chez qui tout sauf l’écriture guide la forme. Par ce dernier commentaire, j’entends que Brahms écrivant des symphonies est guidé par d’autres œuvres, qu’il élargit la conception formelle grâce à une écriture faite de tuilages qui fondent la forme ABA ou forme sonate ou forme rondo en un récit, sans pour autant garder la clarté des proportions entre ces parties. Qu’on pense à l’extraordinaire transition du Trio au da capo du 3e mouvement de la deuxième symphonie.
La leçon de Mahler et de Brahms, c’est qu’on peut garder le souffle de l’innovation tout en conservant les proportions d’une œuvre, si avancé le langage soit. C’est qu’on peut comprimer et imprimer un mouvement si un geste est tout à fait caractérisé. Cette conscience que le compositeur a d’écrire dans une langue qu’il souhaite rendre connue est ce qui conduit la seconde école de Vienne, finalement, à retourner à la rhétorique classique. Qu’on mette en liste tous ces projets et ces œuvres qui s’en rapprochent:
Schönberg:
Symphonie de chambre n.1 en mi majeur (1906): geste absolu, monstre à jouer, rhétorique, mais à la force d’expression bien à elle. Unification sous un geste unique de toute la forme symphonique, avec selon moi un hommage direct à cette même transition dont Brahms se fait l’orfèvre, avant les sections ‘Scherzo’ de la symphonie de chambre:
zone de confirmation d’un langage basé sur les quartes qui permet de ramasser la forme musicale grâce à une concision du matériau qui va à l’encontre du post-romantisme.
Projet de symphonie de 1912 à 1915: projet rapproché des 4 lieder op.22 pour voix et ensembles, et de l’oratorio “l’échelle de Jacob”. Les rares sources que nous avons parlent de l’établissement d’un langage sériel proche de celui de l’oratorio, mais sans les freins d’un texte qui serait là à la fois pour justifier et pour voiler les innovations. Peut-être Schönberg a-t’il voulu garder proche son inspiration littéraire pour ces innovations, plutôt que d’oser présenter ‘à nu’ le langage dodécaphonique, ce qu’il pensera peut-être lorsqu’il composera les Variations pour Orchestre op.31, véritable showcase du grand style à 12 sons.
Sérénade op.24, quintette op.26: 2 œuvres majeures, monumentales. Si la sérénade s’approche de Brahms et de Weill (de par l’instrumentation, proche de ce dernier), comme de Mahler, c’est pour réussir à incarner, à invoquer dans une forme libre, de plein air, d’éloquence (sérénade, c’est aussi ce que fait l’aimé à l’aimée, au balcon), toute la vivacité du nouveau langage appliqué à une instrumentation… inusitée. Le quintette à vents est pour moi l’équivalent de la symphonie héroïque de Beethoven quant aux dimensions et à la densité des idées musicales, c’est là où Schönberg explore l’idée de masse sonore, de densité de couleurs hétérogènes le plus, c’est dans mon coeur le tour de force caché de son œuvre. C’est également une oeuvre centrale dans sa production, puisqu’il en fera un essai de version pour clarinette et piano, qu’une version pour violon et piano est publiée par Felix Greissle chez Universal, et que Schönberg lui-même, peu de temps après la composition, commencera un arrangement pour quatuor à cordes, dont 15 mesures seulement ont été écrites.
Je dois aussi faire remarquer, plus que les deux pièces précédentes la Suite op.29, qui selon moi par sa disposition instrumentale de 3 clarinettes, 3 cordes, et piano s’approche le plus de la symphonie op.21 de Webern, qui est le but assumé de cet article. J’y reviendrai plus tard.
En 1937, il réessaie l’écriture symphonique, de forme classique, dans un langage dont j’ignore s’il est tonal ou sériel. Nous aurions 30 à 50 mesures de chacun des quatre mouvements.
En 1938, il reprend une seconde symphonie de chambre, commencée dans les jours qui ont suivi la première, en 1906, reprise en 1911 et en 1916, et l’achève en 1939. Il y a beaucoup à dire de cette œuvre qui semble ne venir que de 1906, elle est beaucoup plus sombre et symboliste que la formaliste première symphonie de chambre.
Berg:
La grande quête de Berg semble, avant Wozzeck, de s’embarquer dans l’écriture d’une symphonie. Ce qui n’est pas étonnant quand on pense que son catalogue jusque là compte une sonate pour piano, un recueil de lieder, un quatuor, un cycle orchestral de lieder, une suite pour instrument solo et piano (les 4 pièces pour clarinette), et les trois pièces pour orchestre, opus 6, qui sont en fait les représentantes d’une sortie de crise. En effet, Schönberg, après l’écoute partielle (en 1913) et la lecture des Lieder d’après des poèmes de carte postale d’Altenberg, met en garde Berg contre un langage de la raréfaction. Berg, tout autant conscient de cette voix sans issue, s’essaie à l’écriture orchestral pure, sans texte. Il existe donc de 1913 environ 40 feuillets publiés en fac-simile pour une symphonie. Nous avons, de manière plus concrète, une Passacaille pour orchestre:
Cette œuvre, par ses sonorités de plus en plus aiguës supportées par la percussion, s’opposant à la trame colérique des basses, est jumelle du dernier lied opus 4, qui est aussi une Passacaille, mais ici c’est une déferlante post-harmonique, alors que le lied est dans un constant retrait. A rapprocher aussi du dernier mouvement de la 4e de Brahms. Son centre harmonique est mi bémol, avec beaucoup d’allusions à Debussy, à la 9e de Mahler par un contrepoint libre qui rappelle la fin du premier mouvement de ce dernier. La forme en revanche se rapproche de la première pièce pour orchestre opus 6 (Präludium). Commence à se faire en nous la conclusion que la seconde école de Vienne refuse l’étiquette symphonique, les codes qui y sont accrochés, et tout de même utilise l’atomisation des trouvailles de la génération précédence pour innover.
Mais Berg a écrit une symphonie. Une symphonie cachée: c’est le deuxième acte de Wozzeck. Je ne peux pas passer plus de temps dessus, d’autant plus qu’elle est éloignée de la Symphonie de Webern, se rapprochant davantage de Schönberg. Mais elle est symphonie en tant qu’elle rappelle le premier acte et évoque le troisième: comme dirait Mahler “il faut y mettre le monde”
On en vient à Webern. Sujet et but de ce post adjacent à ceux sur la Symphonie op.21. Webern perfectionne et révolutionne un style symphonique basé sur la continuité, depuis l’idylle symphonique Sommerwind, qui est sa dénomination pour l’oeuvre. Puis viennent la Passacaille opus 1, mouvement final fantôme pour uns symphonie déjà endeuillée (toutes ses compositions, dit-il, sont marquées par la mort de sa mère, sauf l’opus 7), les pièces opus 6, encore pesantes et colériques, épaisses (surtout dans leur version originale), où un schéma de symphonie semble s’inspirer d’un Bruckner, en ce sens que la quatrième pièce, marche funèbre, en est le centre. Après cette oeuvre-limite, les pièces opus 10, raréfiées, encore plus éloignées, désireuses du schéma de la symphonie. Mais j’aimerais revenir à ces pièces opus 7, qui n’en seraient pas marquées. Du corpus de Webern, elles sont les seules pièces à suivre le nombre de mouvements d’une symphonie classique, dans leur arrangement aussi: modéré, très rapide, lent, modéré puis lent. Bien qu’elles soient pour violon et piano, et sans égoïsme de ma part!, elles se rapprochent le plus de l’esprit d’une symphonie, construction sans baisse de régime qu’elles sont. Mais la fin de la quatrième agite des forces encore trop fortes pour être maîtrisées, et donc finit dans un geste qui annule tout ce qui s’est passé:

Webern en somme voit la symphonie, sa symphonie, comme une étape, avant le retour au texte que seront les cantates.